‘Le nouveau stagiaire’ : dans les coulisses de l’entrepreneuriat féminin

16 septembre 2022
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L’entrepreneuriat n’est pas toujours un long fleuve tranquille. Le chemin est parfois même plus accidenté pour les femmes qui, même si elles sont nombreuses à se lancer, souffrent encore d’a priori et de pensées limitantes. Le film Le nouveau stagiaire dépeint avec beaucoup de délicatesse ce parcours du combattant que mènent parfois les entrepreneures pour construire leur empire. Attention, spoiler.


Sorti en 2015, le film Le nouveau stagiaire de Nancy Meyers raconte l’histoire de Ben Whittaker, interprété par Robert De Niro, et Jules Ostin, jouée par Anne Hathaway. Retraité de 70 ans, veuf, Ben Whittaker a besoin de remplir sa vie. Il postule au programme de stage senior proposé par une start-up de vente de vêtements en ligne, dirigée par une femme talentueuse et ultra dynamique. En visionnant ce film, on s’attendait à être témoin d’une nouvelle représentation du choc des générations, celle-ci n’a pourtant pas lieu. A la place, nous découvrons, au travers du regard de Ben Whittaker (un boomer pas si has been) les doutes et les remises en question d’une entrepreneure promise à un grand succès. Analyse en 4 citations.

Au début du film, Ben Whittaker, âgé de 70 ans redevient stagiaire. Il est placé sous la supervision de Jules, la fondatrice hyperactive de l’entreprise, qui ne trouve rien à lui faire faire et semble un peu gênée de lui attribuer des tâches ingrates. Aussi, Ben n’a pas vraiment de rôle dans l’entreprise et occupe ses journées en donnant des petits coups de main à droite à gauche. Ponctuel, déterminé, patient et observateur, il finit toutefois par trouver sa place auprès de Jules.

Plus qu’un assistant ou un chauffeur, il devient alors une sorte de coach, un sparring partner, et lui apporte son soutien ainsi qu’un regard extérieur sur les situations qu’elle vit dans son quotidien de cheffe d’entreprise. Le personnage de Ben démontre alors que les collaborateurs seniors ont un vrai rôle à jouer dans l’entreprise. Forts de plus de quarante ans de travail, ils bénéficient d’une sagesse et d’une expérience acquises sur le terrain. Les entreprises et leurs dirigeants ont alors tout à gagner à utiliser ce savoir qui peut leur apporter bons conseils et hauteur de vue.

Dans le film Le nouveau stagiaire c’est le rôle qu’endosse Ben. Par quelques observations très justes, remarques bien placées et autres discours inspirants, notre sympathique senior expose à Jules les pensées limitantes dont elle est victime et l’encourage à persister sur la voie du succès. Avec un peu de recul, on reconnaît au travers du récit de Ben une revendication féministe. Entre rivalité féminine et culpabilité, le personnage de Jules nous rappelle les difficultés que rencontrent les femmes dans leur métier de dirigeantes, souvent générées par…elles-mêmes.

“On est en 2015. On critique encore les mères qui travaillent ? Vraiment ?” demande Jules en sortant de l’école où elle vient de déposer sa fille, Paige. Elle y a croisé plusieurs mères au foyer qui ne se sont pas privées de lui faire remarquer qu’elle n’avait jamais le temps de s’investir dans la vie de l’école. Voilà qui plante le décor et qui laisse apparaître les premières idées culpabilisantes dans l’esprit de notre héroïne.

Des idées qui tournent dans la tête de nombreuses entrepreneures. Elles s’en veulent de ne pas être assez présentes pour leurs enfants. Elles s’en veulent d’avoir poussé leur compagnon à sacrifier leur carrière pour la leur. Elles s’en veulent de ne pas avoir assez de temps pour cuisiner un cake pour la fête de l’école… Et elles en viennent jusqu’à douter de leur légitimité en tant que cheffe d’entreprise. Ont-elles eu raison de se lancer ? Sont-elles de bonnes mères ? Leur place n’est-elle pas aux côtés de leurs enfants et non à la tête d’une entreprise ?

D’autant plus qu’aujourd’hui encore, oui même en 2022, certains clichés collent à la peau des cheffes d’entreprises. L’un d’entre eux, bien répandu, présente la femme cheffe d’entreprise comme une sorte de harpie. Excessivement sévère, castratrice…cette femme a gagné sa place à coups de griffes et tente de s’imposer en imitant leurs homologues masculins et en se montrant particulièrement dure. Cette idée reçue, parfois colportée par les femmes elles-mêmes, n’est pas sans fondement et témoigne de la rivalité qui existe entre les femmes et qui met à mal tout le principe de sororité.

On constate très souvent cette compétition féminine dans la vie quotidienne : slut-shaming, mom-shaming, coups bas et médisances, les femmes ne sont pas toujours tendres entre elles. Cette tendance à se comparer, à se juger et à se critiquer est parfaitement illustrée dans Le Nouveau stagiaire au cours d’un dialogue lourd de sous entendus. En apprenant que Ben travaille pour Jules, la mère d’une des camarades de classe de Paige, prend un air désolé. “J’ai entendu dire qu’elle était, vous savez…plutôt dure.” lui dit-elle, médisante. Ce à quoi Ben répond, faussement innocent : “Dure, Jules, oui c’est une dure à cuire ! J’imagine que c’est comme cela qu’on devient une star de l’internet. Ça doit vous rendre fières, hein ? Que l’une d’entre vous passe toutes ses journées à briser le plafond de verre du monde de la tech. Bravo à elle, n’est-ce pas ? Cette scène met parfaitement en avant la rivalité qui existe entre les femmes et la difficulté qu’elles peuvent avoir à se réjouir du succès d’une autre. Ce que soulève très justement Ben dans sa réponse ironique.

Cette rivalité féminine représente un vrai frein à l’égalité homme/femme et la journaliste Racha Belmehdi s’est penchée sur la question. Dans un essai publié en mars 2022 “Rivalité, nom féminin”, elle explique que cette compétition serait nourrie par une misogynie millénaire et servirait le patriarcat. Dans son ouvrage, elle fait la distinction entre la rivalité masculine, motivée par le besoin de s’imposer, et la rivalité féminine, motivée par la peur et l’insécurité.

Pour la journaliste, c’est donc le regard masculin qui conditionnerait la rivalité féminine. Selon elle, à force d’être définies et comparées par rapport au regard que portent les hommes sur elles, les femmes finissent par adopter ces codes sexistes qui les empêchent de se réjouir du succès de leurs consœurs et qui les mènent parfois à se mettre des bâtons dans les roues. Au travail, les femmes ont conscience qu’elles ont gagné leur place dans un monde dirigé par des hommes mais que cette position reste fragile et qu’on ne leur fera pas de cadeau. Les postes les plus intéressants ne leur sont pas toujours accessibles. Il apparaît alors plus simple pour elles de se mettre en compétition les unes contre les autres plutôt qu’avec les hommes. Certaines se rangent donc de leur côté, se comportent comme eux et intègrent leurs “boys clubs” dans un instinct de “survie”. C’est ce qu’on nomme le syndrome de la Schtroumpfette, théorisée par la journaliste Katha Pollit en 1991. Une idée plus ou moins consciente selon laquelle il y a une place limitée pour les femmes dans un groupe d’hommes. Ce qui provoque animosité et rivalité.

Ainsi, Racha Belmehdi exhorte les femmes à ne pas jouer le jeu du patriarcat qui divise pour mieux régner. Pour qu’une véritable sororité puisse voir le jour, les femmes doivent tout d’abord prendre conscience des mécanismes à l’œuvre et cesser d’y participer, en refusant de critiquer une autre femme sans raison. Pour autant, cette déconstruction se fait lentement et la rivalité féminine continue de faire ses victimes. Une lourde charge mentale pèse donc toujours sur les épaules des femmes, et notamment des dirigeantes d’entreprise, lestée par tous ces a priori véhiculés par la société et entretenues par leurs consœurs.

Certaines cheffes d’entreprises poursuivent encore cet idéal d’être une superwoman. Et lorsqu’elles ne parviennent pas parfaitement à équilibrer leur vie d’entreprise et leur vie de famille, elles ont une grosse tendance à culpabiliser. C’est le cas de Jules dans Le nouveau stagiaire, déjà déstabilisée par les attaques à peine voilées et le mom-shaming des autres mères. Lorsqu’elle apprend que son mari la trompe, elle se sent immédiatement responsable et imagine qu’en partageant la direction de son entreprise elle pourrait être davantage présente pour sa famille et recoller les morceaux. Ce à quoi Ben répond, plein de sagesse : “Ok, stop. Je déteste devoir être le plus féministe de nous deux, mais tu dois pouvoir avoir une énorme carrière et être toi-même sans avoir à accepter en échange que ton mari te trompe.”

On ne peut être que d’accord avec cette remarque. Entrepreneures : vous n’avez pas à vous excuser de réussir. Vous n’êtes pas les seules responsables si tout ne tourne pas complètement rond à la maison et personne ne peut vous le reprocher, ni les autres femmes, ni vous-même. D’où l’importance de partager la responsabilité et de trouver des solutions pour pallier votre absence au foyer. Nous ne pouvons que vous encourager à vous faire aider : par votre conjoint, par vos parents, par une aide à domicile… Il n’y a pas de honte à être ambitieuse et à souhaiter que votre entreprise réussisse. Et ça, ce n’est pas nous qui le disons, mais Ben Whittaker lui-même : “Tu ne devrais rien ressentir d’autre que de la fierté pour ce que tu as construit. Et je déteste te voir laisser quelqu’un d’autre te retirer cela.

Écrit par Sibylle Pinochet

Rédactrice en chef

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